
« Quand la vision pragmatique de Charlotte du Payrat, praticienne reconnue de la transformation collaborative, rencontre l’expertise terrain de Benoît Bourla, pionnier du management inspiré du rugby, c’est tout un nouveau souffle collectif qui s’invite dans nos entreprises. »
Pourquoi une telle rencontre ? Dans son ouvrage « Et si on la jouait collectif ? », en 2ème édition augmentée chez Pearson, Charlotte du Payrat s’intéresse au comment mieux faire collectif en entreprise. C’est un guide pragmatique et méthodologique à destination de managers et RH, un livre terrain basé sur l’expérience avec des outils éprouvés. Son analyse, son expérience et son discours ont tout de suite résonné avec les miens et ma pratique en entreprise.
Regards croisés Charlotte du Payrat, praticienne reconnue sur la transformation et la culture de coopération (Et si on jouait collectif 2eme édition sortie en janvier 2025 chez Pearson), et Benoît Bourla, pionnier du modèle
(une pratique du management collaboratif issue du Rugby)

Je recommande sa conférence « Attirez, engagez, fidélisez vos collaborateurs avec succès ! » donnée plus d’une cinquantaine de fois, une intervention inspirante qui permettra à vos managers, et RH, lors de séminaires, de se projeter collectivement dans un avenir à réinventer. En effet, le collectif devient clé alors que la révolution numérique bouleverse nos modèles.
[1] Teaser de la conférence « Engagez, attirez, fidélisez vos collaborateurs avec succès ! » :
Comme Charlotte l’évoque, les raisons incitant à mieux faire collectif sont multiples et de plus en plus pressantes : faire face à la révolution numérique, accompagner les transitions individuelles et collectives, réinventer les manières de travailler, sortir de la taylorisation des tâches etc.
De cet échange, ressort clairement un commun, un même regard…. ! Quels sont-ils ? Suite à cet échange riche et réaliste, Charlotte du Payrat a trié les différents éléments et les a articulés sous la forme d’un article afin de mieux donner à voir cette couleur si spécifique du collectif que l’on peut retrouver à la fois en entreprise ou dans le Rugby !
« Savoir partager des règles du jeu collectif et un objectif commun. »
Si, dans le sport, l’objectif commun est facile à définir, dans l’entreprise, nous avons bien souvent l’illusion que notre objectif commun a été suffisamment travaillé, alors qu’en réalité, sa déclinaison opérationnelle est une illusion mêlée d’objectifs personnels qui génèrent de la confusion et des malentendus. Souvent, on croit comprendre, mais on ne se comprend pas et cela peut être source de malentendus. Le travail sur la vision partagée n’est pas toujours abouti. Et c’est un préalable au lancement du jeu collectif. Elle facilite le jeu, l’atteinte des objectifs en concentrant l’équipe sur le bien commun poursuivi.

Objectif commun, règles claires : le socle du collectif.
Au début de cet échange, tout de suite, l’accord se fait sur l’importance des règles du jeu collectif ainsi que de l’objectif commun qui va mettre en ordre de marche. Le partage et le respect des règles du jeu va permettre de façonner un état d’esprit favorable à un jeu collectif harmonieux. Cet état d’esprit induit des comportements et favorise la complémentarité, sachant qu’un collectif regroupe des individus ayant des apports différents. Par exemple, dans le rugby, les différences peuvent être athlétiques (force pour le pack d’avant, rapidité pour les lignes arrière), mais aussi mentales et psychologiques (meneur de combat pour le talonneur, remise dans l’axe pour le 3ème ligne centre, meneur de rythme pour le demi de mêlée, créatif pour le demi d’ouverture, vision stratégique pour l’arrière..). Favoriser la complémentarité, la différence, c’est aussi savoir laisser la place à l’autre et connaître la place de l’autre et sa « trajectoire . Cela paraît simple, et pourtant nous avons tous en tête des exemples où une compétitivité ou pression trop fortes entraînent une tentation de privilégier ses idées sans véritablement écouter l’autre, allant jusqu’à, parfois, trop tirer la couverture à soi, à évincer celui qui est vu comme un rival, etc.
Dans le rugby, une personne qui est trop individualiste et s’isole avec le ballon pour le garder à soi, peut se mettre en danger physique dans la défense adverse ! L’objectif, au contraire, est de marquer collectivement : il est important de passer le ballon à celui qui est le mieux placé et de se repositionner. C’est ce qu’on appelle « faire une passe » et se mettre en soutien. Après une séance rugby lors d’un séminaire, un cadre dirigeant identifie cette profonde découverte : « Je réalise que je bosse depuis 30 ans et que je n’ai jamais fait une passe… ! ». Avec une éducation élitiste, des diplômes brillants, il avait cultivé toute sa vie l’art d’avoir toujours raison. A l’excès, cela revient à faire difficilement une passe à l’autre ou ne pas être à l’écoute de ce qui se différencie de sa propre vision.
« Ce sont les règles qui créent les comportements »
Entre intention et incarnation : le défi comportemental du collectif.
Après cet échange sur les règles et l’objectif commun, nous enchaînons tout naturellement sur les comportements. Nous y accordons alors la même importance, convaincus que l’observation des comportements sur le terrain est clé…. ! En effet, savoir guider un collectif, c’est souvent, avant toutes choses savoir l’observer attentivement.
De concert, nous soulignons une confusion fréquente entre les comportements souhaités et les comportements incarnés.
Beaucoup d’entreprises affichent sur leur site internet leur mission, leurs valeurs et leur raison d’être. Cependant, ces valeurs sont plus souvent rattachées à des comportements souhaités qu’à des comportements incarnés. Nous restons au niveau du discours plus qu’au niveau des actes : « nous jouons collectif ». Or, si le collectif est avant tout de l’observation : à quels comportements concrets et observables au quotidien se rattache cette affirmation, cette valeur affichée ?
Le discours du jeu collectif ne se retrouve pas toujours dans les actes, se heurtant à des réalités humaines qui peuvent amener à un chacun pour soi : la peur, l’envie, les moteurs humains sont aussi à prendre en compte. C’est au management de faire en sorte que chacun se sente utile et contributeur à l’atteinte des objectifs de l’entreprise… Accepter de repenser parfois l’intérêt individuel pour l’intérêt collectif. Nous évitons les injonctions contre-productives qui pourraient favoriser l’individualisme dans les actes au-delà des discours.
Bien évidemment, de telles affirmations sont effectuées en toute bonne foi. Cela démontre combien le collectif, d’apparence simple, demande de la rigueur et une appréhension fine de la complexité. L’expertise consistant à savoir bien décortiquer celle-ci, est un véritable levier de performance… !
« De ces comportements vont naître une coordination harmonieuse, une complémentarité intelligente visible dans les liens entre les personnes »
Leadership collaboratif : favoriser la synergie des compétences.
Enfin, nous nous accordons sur l’importance d’accompagner la dynamique collective : l’état d’esprit soutenu par des règles et un objectif commun, induit des comportements souhaités incarnés, puis engendre une coordination harmonieuse visible dans la qualité des liens entre les personnes.
Illustrons concrètement une coordination centrée sur le collectif dans le rugby. Elle se caractérise par un équilibre dans lequel chacun joue son rôle tout en facilitant le jeu de l’autre quand il n’est pas porteur du ballon. Dans le rugby, le combat pour avoir le droit de jouer est collectif… ! Dans cette conquête collective, l’équipe cherche à marquer la totalité du terrain que ce soit par la force ou par la vitesse en contournant les obstacles. Pour jouer, il est concrètement nécessaire de conquérir le ballon (mêlée, touche). Si chacun courait après le ballon, ce serait beaucoup d’épuisement, de souffrance pour peu de résultats. La coordination du collectif se fait dans une adaptation permanente à celui qui porte le ballon. Chacun garde alors en tête que le succès dépend tout autant de celui qui a le ballon que des personnes en soutien à droite ou à gauche…. Une des règles de base du rugby – l’arbitre y veille – est la continuité de la vie du ballon ! Au rugby, il n’y a pas de « star ».
Dans une culture de coopération tout comme dans le rugby, la notion d’harmonie est essentielle. Comment favoriser une coordination harmonieuse ? L’intelligence du jeu passe par le fait d’intégrer et d’anticiper la trajectoire de l’autre, de s’accorder à son élan ! Il s’agit de savoir écouter le jeu de l’autre pour mieux lui faire de la place…
Malheureusement, notre société est menacée aujourd’hui par un écueil grandissant : l’hyper-individualisme …! La compétitivité visant à se battre pour les meilleures places, afin d’être vu comme le leader, à bénéficier du pouvoir de décision…, amène une lutte pour qui, lorsqu’elle devient sans merci, finit par mettre en péril cette coordination harmonieuse. A l’excès, cela entraîne un oubli du jeu collectif et du fameux objectif commun… !
« Trop d’individualisme nuit à la culture de coopération »
Éduquer au collectif : un enjeu sociétal pour réconcilier le Moi et le Nous.
Pour terminer notre échange, nous avons pris de la hauteur de vue au niveau sociétal. La compétitivité effrénée qui existe parfois dans les entreprises fait écho au trop plein d’individualisme de notre société.
Plusieurs facteurs expliquent cela… La logique consumériste court terme, le culte de la performance individuelle, le « il est interdit d’interdire » … sont autant de tendances qui font pencher la balance du côté du « Moi je », en magnifiant les désirs individuels, tout en relayant le « Nous », le collectif en contre champ. Le cap à tenir réside dans un savant équilibre entre le « Moi je » et le « Nous ».
Au-delà de l’état d’esprit, des comportements incarnés, les comportements en entreprise dépendent aussi d’un autre terreau : l’éducation reçue de nos parents, les schémas mentaux véhiculés par la société ou l’apprentissage effectué à l’école. Ce sont aussi des moments où nous avons été éduqués ou non au collectif, à savoir faire la place à l’autre, à mieux prendre notre place si besoin, à nous coordonner, à nous comprendre…
Pourquoi est-il particulièrement approprié d’évoquer ces moments d’éducation quand on parle de rugby ?
Le rugby entretient un lien particulier avec cette notion d’éducation. Historiquement, ce sport avait pour intention de faire grandir les gens sur le plan individuel et collectif. Il porte en lui une visée éducative, un esprit managérial. Il se situe dans une logique de transmission et aide à façonner les comportements permettant le collectif.
En synthèse, la culture de coopération et le rugby présentent de nombreux communs, une même couleur : règles du jeu et objectif commun, comportements observables, coordination harmonieuse et éducation au collectif !

Entretien mené par Olivier Laurent – Directeur Général Adjoint Développement